Un dopant du cancer: le sucre

 

En 1924 Heinrich Otto Warburg (lauréat du prix Nobel en 1931) émit l’hypothèse après avoir observé que les cellules cancéreuses renfermaient une concentration anormalement élevée d'acide lactique qu’elles devaient tirer leur énergie de la fermentation du glucose, fermentation se déroulant sans oxygène. Pour les cellules cancéreuses, l’oxygène joue un rôle "secondaire" et ne leur est, pour se développer, pratiquement d’aucune utilité, contrairement aux autres cellules pour lesquelles ce même gaz est vital !

 

Le cancer semble finalement résulter d’un dysfonctionnement des chaudières cellulaires appelées mitochondries qui au lieu de « brûler » le glucose pour produire de l’énergie et du CO2, deviendraient un fermenteur produisant à partir du glucose un peu d'énergie et de grandes quantités d’acide lactique. En résumé: la cellule cancéreuse ne respire pas, elle fermente. Cette façon de produire de l’énergie n’est pas très judicieuse et conduit en fait à un gaspillage du combustible (glucose). Cette situation fait que la cellule tumorale a besoin de grandes quantités de glucose pour entretenir son métabolisme et sa croissance effrénée.

 

Explication : dans une cellule saine, une molécule de glucose complètement brûlée en présence d’une quantité suffisante d'oxygène fournit 38 ATP (ATP = molécule apportant l’énergie nécessaire au déroulement des réactions biochimiques). Quand une molécule de glucose est métabolisée en présence d’une faible quantité d’oxygène, dans les muscles par exemple ou dans une cellule cancéreuse qui fermente, il ne se forme plus alors que 2 ATP et 2 molécules d’acide lactique. Ce qui signifie que si une cellule normale a besoin de 38 ATP un moment donné pour couvrir ses besoins énergétiques, une seule molécule de glucose lui suffira. Une cellule cancéreuse pour un besoin énergétique identique consommera 19 molécules de glucose et produira une énorme quantité d’acide lactique qui sera en partie recyclée en glucose, toutefois avec un bilan énergétique négatif. Conclusion  : une tumeur maligne qui est le siège d'une fermentation a besoin de beaucoup de glucose et ce besoin va grandissant avec son développement. On peut en conclure que toute alimentation et toute habitude alimentaire engendrant une hyperglycémie favorisera la progression de cette tumeur.

 

 

Des travaux de recherche ont ainsi montré que l’index glycémique des aliments et la quantité consommée sont 2 facteurs qui, chez la femme ménopausée, augmentent la probabilité de développer un cancer du sein et ceci est encore plus vrai chez une femme en excès de poids. Il se trouve que les femmes préménopausée s’exposent également à un risque accru de cancer du sein quand elles consomment plusieurs fois dans la journée des aliments riches en sucres rapides. Dans cette situation, leur organisme connait progressivement une altération du métabolisme glucidique du type insulino-résistance conduisant alors à des états d’hyperglycémie de plus en plus longs.

 

En fait, la charge glycémique (quantité absorbée) et l’index glycémique (rapidité d’assimilation) sont des facteurs qui agissent non seulement sur l’insuline, mais aussi sur une hormone appelée IGF-1 (insulin-like growth factor 1) dont on soupçonne l’implication dans le développement d’un certain nombre de cancers dont celui de la prostate.

 

Remarque : l’activité des enzymes (hexokinase, phosphofructokinase, etc.) impliqués dans le métabolisme du glucose d’une cellule cancéreuse du sein est significativement plus importante lors de la formation des métastases. Ce qui signifie qu’il y a une activation de la glycolyse quand la tumeur se met à fabriquer des métastases, ce qui n’est pas étonnant ce processus nécessitant inévitablement un apport d’énergie. A noter que les estrogènes, mais également la prolactine (hormone sécrétée par une glande située dans le cerveau) sont étroitement impliqués dans l’activation des enzymes participant au métabolisme du glucose. (voir également l'article :  Cancer du sein et saisons).

 

 

Bien évidemment il n’y a pas que la cellule du cancer du sein qui est sensible à l’hyperglycémie, beaucoup de cellules appartenant à divers organes (colon, pancréas, ovaire, etc.), en cours de cancérisation, sont stimulées par un niveau de glucose sanguin élevé et notamment les cellules cérébrales. Pourquoi le cerveau plus particulièrement ? Parce que cet organe consomme énormément de glucose dans les conditions normales et encore plus quand il héberge une tumeur maligne.

 

En résumé : à partir du diagnostic d’un cancer et jusqu’à la guérison (?), il vaut mieux éviter l’hyperglycémie par tous les moyens !

 

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